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Ce grand prix est le plus beau à mes yeux. Mais comment faire un choix? Il sera toujours
discuté et contesté. Pour ma part, j'en garde un souvenir mémorable. A chaque inter
saison, quand le manque de GP se fait sentir, la cassette "Adélaïde 86" se
déroule dans mon magnétoscope. Le début me fait toujours frissonner; la voix de Bernard
Giroux, la fière allure des monoplaces, les attaques, les freinages limites, les voitures
de front, Ayrton, Nelson, Kéké, Nigel, Alain bien sûr... La saison était très
disputée: trois hommes pour un titre dans le dernier GP! Mansell avec 6 points d'avance
sur Prost et 7 sur Piquet partait hyper favori. Les Mc Laren et le fameux TAG Porshe
étaient sur le déclin. Les Williams entamaient le début d'un règne... Prost allait-il
remporter un deuxième titre consécutif? Je le voulais et l'espérais très fort! C'est
donc très impatient que j'avais opté pour un réveil matinal...
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Le départ
Autour du T20
Prost aux stands
Kéké ne tourne plus!
Mansell se brûle les...
Prost P1
Les mots du vainqueur |
Une grille de départ classique pour l'époque:
1-MANSELL [Williams/Honda]
2-PIQUET [Williams/Honda]
3-SENNA [Lotus/Renault]
4-PROST [McLaren/TAG Porshe]
5-ARNOUX [Ligier/Renault]
6-BERGER [Benetton/BMW]
7-ROSBERG [McLaren/TAG Porshe]
8-ALLIOT [Ligier/Renault]
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Dimanche 26 octobre
1986.
En ce jour de Grand Prix aux antipodes, TF1 ne le retransmet pas en direct. Christian Van Ryswick, brillant commentateur est à Boulogne dans
les studios. Il suit, lui le veinard, le déroulement de la course en direct et il vient
de voir le 63ème tour! Il est donc sensé ne rien laisser transparaître et annoncer le
début du Grand Prix d'un ton neutre... Il est tout de même stressé, et son ton laisse
le spectateur engourdi que je suis, assez perturbé. " Pour que Prost soit champion
du monde, déclare-t-il, deux conditions: un, il faut qu'il gagne, deux, que Mansell ne
soit pas sur le podium. (NdW: la victoire est à 9 points, et seul 11 résultats
comptent...) Prost se retrouve donc dans la situation où dans le dernier Grand Prix
il peut être champion du monde. Souvenez-vous en 83 chez Renault, son adversaire c'était
Piquet, il avait échoué à 2 points. En 84, chez Mc Laren son adversaire c'était son
coéquipier Lauda, il avait échoué à 1/2 point! L'année dernière c'était le titre,
vous vous en souvenez. Que sera cette année ce Grand Prix ? Nous le saurons dans moins de
2 heures, en suivant en léger différé, puisque le départ à été donné à 4h30 du
matin en compagnie de nos deux amis et compères; José Rosinsky, docteur ès-formule 1,
et Bernard Giroux, ce Grand Prix. Top magnéto, c'est parti, deux heures d'un spectacle
extraordinaire, vous allez le voir..." Quelle mise en bouche non? |
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Le départ.
Dans la maison, c'est le silence et l'obscurité. Encore engourdi de sommeil, je
suis confortablement calé dans mon fauteuil face au petit écran. Mon cur semble
s'emballer alors que le tour de formation se termine et que Bernard Giroux s'enflamme à
son micro au moment où le feu passe au vert. (NdW à cette époque le départ était
donné au vert, et oui...) "Dans quelques secondes elles vont s'élancer...le
suspense commence, la guerre est engagée..." Mansell est l'auteur d'un départ canon
( comme son aileron l'indique!) mais c'est Senna qui s'élance comme une flèche,
récupère un magnifique travers et le colle! Rosberg laisse Arnoux sur place et
s'infiltre en 5ème position puis double Prost prudent. Derrière, Alboreto parti comme un
boulet s'accroche avec la Ligier (Arnoux) et la Benetton de Berger en tentant de passer
entre les deux. Il se retrouve en vrac, bon dernier et devra abandonner. Devant, Senna au
volant de la belle Lotus noire aux couleurs JPS, est survolté! Mansell n'insiste pas et
se laisse déborder à la corde au droit suivant. Piquet en profite pour passer aussi,
tandis que Rosberg fait de même un peu plus loin. Les monoplaces sont gorgées de
carburant, et c'est dans d'immenses gerbes d'étincelles que Piquet, au bout de la ligne
droite, porte son attaque victorieuse sur Senna. A la fin du premier tour, on retrouve
donc la Williams N°6 de Nelson Piquet en tête, suivent: Senna (à 0"974), Rosberg
(1"524), Mansell (3"258), Prost (3"728) et Berger (4"255). Piquet
s'envole bille en tête, tandis que Rosberg se hisse en deuxième position. Les quatre se
laissent légèrement décrocher au fil des tours. Mais bientôt, le Finlandais qui
dispute là son dernier Grand Prix, se sent des ailes et tombe le meilleur tour en course
(1'22"828) et devient leader de ce Grand Prix d'Australie. Senna doit ménager sa
monture et sa consommation, il doit s'incliner et laisser Mansell puis Prost le dépasser.
Une première à la télévision, Dumfries (Lotus) et Tambay (Lola) nous offrent de
magnifiques images de caméra embarquées. On observera, avec délectation, les pilotes se
battre avec leur levier de vitesses.
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Autour du 20ème
tour...
La course se décante, Rosberg caracole en tête, Piquet est à 14" suivi
comme son ombre par Alain Prost (0"6) puis Mansell à 19 secondes de la Mc Laren de
tête et Senna décroché à plus de 37". Johansson est toujours sixième, mais à
56"177 ! C'est alors qu'au 22ème tour, Piquet pressé par la Mc Laren N°1, Piquet
part en tête à queue. Il se récupère sans "bobo", mais laisse tout de même
passer Prost et son coéquipier Mansell. Furieux, il repart dans la boîte du virtuel
champion du monde! Il reste encore 60 tours à couvrir... Prost, débarrassé du bouchon
Piquet se lance à l'attaque de son acolyte d'écurie et fait claquer les meilleurs temps:
1'22"544 puis 1'22"204 se retrouvant à 17"595 de Rosberg au 25ème tour.
On peut admirer les trajectoires au cordeau du "prof" au volant de sa monoplace
N°1. Il refait son retard tour après tour et la stabilité de sa F1 est remarquable. Les
chronos aussi, puisqu'au T30 il se retrouve à 13"2 de Rosberg. Mansell qui suit est
à 20" et Piquet 24"7. Tout semble tourner comme une horloge et pourtant au
32ème tour, c'est la stupeur pour tous les fans de Prost:
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"Prost aux
stands,
il n'a pas pu couvrir la distance avec un seul train de pneus et est donc le
premier des leaders à observer un changement de roues..." commentent, désabusés,
José Rosinsky et Bernard Giroux. 17"13 de pause pour quatre roues neuves et Alain
s'élance des stands. En fait, on le saura plus tard, Prost victime d'une crevaison, doit
s'arrêter malgré lui et cette malchance qui le poursuit (croit-on!) va le servir sur la
fin de la course. Enfoncé dans mon fauteuil, déconfit, je vois déjà Mansell levant un
poing vainqueur vers le ciel, coiffé d'une couronne de lauriers. "Fantastic
job..." Mais Prost y croit, malgré son computeur défaillant qui lui indique déjà
qu'il ne pourra pas terminer la course par manque de carburant, il ne lâche pas le
morceau et attaque, couteau entre les dents. T35 il est 4ème à 49"140 de Rosberg;
Mansell, deuxième, est à 25"253 et Piquet qui suit à 32"460. Senna est déjà
à plus d'une minute! T38 record du tour pour Nelson Piquet: 1'22"065, il est à
2" de Mansell. T40, il tourne en 1'21"904 et se retrouve dans la boîte de
Nigel. Ce dernier joue "sur du velours" commente Rosinsky, en effet, Mansell
2ème ou 3ème, avec Piquet devant ou non, il est champion du monde ! T44, Piquet passe
donc Mansell alors que dans le même tour, Ayrton doit abandonner, son Renault
turbocompressé vient de rendre l'âme. Prost, à 9" de la Williams N°5, poursuit
son cavalier seul avec ses pneus neufs. Les plans de caméras embarquées nous montrent un
Patrick Tambay qui se trouve très inconfortable dans son baquet. Le contraste avec la
caméra de Dumfries permet de mettre en évidence une grosse différence de budget entre
les deux écuries. En effet, la Lotus paraît beaucoup plus stable et son pilote moins
secoué que celui de la Lola. (NdW: On est tout de même loin du confort actuel,
palettes de changement vitesses au volant et baquet moulant...) |
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Kéké ne tourne
plus!
T50: Prost récupère le meilleur temps en course avec 1'21"541. Il est à
7"3 de Mansell. T53, 1'21"526, il est à 4"5' du Britannique. Ce dernier
allume aux freinages et semble avoir de moins en moins d'adhérence. Piquet prend un peu
de large et Prost recolle à moins d'une seconde de Nigel. T57, Rosberg, Piquet à
25"973, Mansell à 28"011, Prost à 29"159. Patrese, 5ème et Johansson
6ème sont à un tour! La bataille fait rage et Prost est maintenant en mesure de passer
devant Mansell. T60, ils sont dans un mouchoir, Piquet à 21"842, Mansell à
24"461 et Prost à 25"100... Les freinages s'allongent, les trajectoires se
tendent... La pression est au maximum. Prost parvient enfin à se débarrasser de Mansell,
mais au T63, Rosberg voit son pneu arrière droit partir en lambeaux. Il est à l'autre
bout de la piste et doit s'arrêter. Coup dur pour Alain qui perd ici un allié précieux
pour la course au titre. Mansell troisième remporterait la couronne mondiale malgré une
victoire de Prost. |
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Mansell se brûle
les moustaches!
Ce Grand Prix est insoutenable, mais il continue de tenir ses promesses. T64,
Mansell amorce son freinage en bout de ligne droite, le plus violent du circuit. Il vient
de passer Arnoux, attardé, et s'empare de la trajectoire. René est aux premières loges.
Il voit le pneu arrière gauche de la Williams exploser littéralement. Un feu
d'étincelles remplace la roue, et Nigel, de main de maître, domine l'embardée
spectaculaire de sa monoplace pour finir dans l'échappatoire. Il doit pester de toute ses
forces dans son casque, mais pour ma part, obnubilé par une potentielle victoire de mon
favori, je saute de joie et hurle dans la maisonnée encore endormie. Les accoudoirs du
fauteuil en sont meurtris tellement mes mains grignotent le vernis. Prost retrouve toutes
ses chances... Rosinsky commente: "Oh là là là là, et voilà un pneu arrière qui
vient d'éclater littéralement, (NdW: On entend des cris en provenance des cabines de
présentateurs voisines) (Bernard Giroux précise à José: "Mansell !") Et
c'est Mansell, le pauvre, qui arrive à....va-t-il arriver, il sort de la route, ça y est
il est dans l'échappatoire... Ah là là, quelle malchance..." Puis Giroux
s'enflamme et commente une probable victoire d'Alain Prost tandis que Rosinsky tempère
son ardeur. Attention, la course n'est pas terminée et Piquet est en tête! Mais,
dans le stand Williams, on craint la même mésaventure pour le leader, on le fait donc
passer par la case départ pour se chausser à neuf. |
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Prost P1
Le suspense reste entier. Ses pneus tiendront, mais ils se sont dégradés.
Aura-t-il assez de carburant? Pourra-t-il contenir le Brésilien et ses gommes neuves?
Nelson pointe à 18" seulement de la Mc Laren! pour augmenter le stress ambiant,
quelques gouttes d'eau tombent; Il "mouillanche"! T67, il reste 15 tours, Piquet
est à 18"179, Philippe Streiff sur sa Tyrell à 1 tour tout comme Brundle,
Johansson. Le sixième, Johnny Dumfries est à 2 tours! Alain rassure ses fans et son
stand ( peut-être?) au T69 il bat le record du tour: 1'20"979. Il contient Piquet à
18"3 et creuse l'écart. T72: 21"385. Les derniers tours seront impossibles à
vivre dans mon fauteuil. Debout devant l'écran, je suis à l'affût d'un freinage un peu
trop limite, d'un chrono désastreux, Piquet est distancé, mais il prend le record du
tour: 1'20"787. Bernard Giroux mange son micro " 4 tours d'angoisse,
d'inquiétude..." explique-t-il. On vient de passer à Prost un panneau
"FUEL". Il ne reste que 2 tours... A genoux devant le dieu cathodique, les
doigts emmêlés à force de les croiser dans tous les sens, mes yeux s'embrument. Le
réalisateur traîne sur un duel d'attardés, et nous prive du combat des chefs... Piquet
est à 15"4, mais où est Prost? Ouf, la monoplace rouge et blanche montre son
museau, José Rosinsky a ralenti son débit verbal et semble pousser Prost dans son
dernier tour! Tout devient lent et pénible. Les lignes blanches indiquant les
emplacements de départ sont enfin franchies par les roues de la Mc Laren. Même sans
essence, Alain franchira la ligne! Le préposé au drapeau à damiers est là, dans son
beau costume jaune, et avec une pirouette magique, il délivre tout le monde. La course
est terminée. Alain immobilise aussitôt sa F1 près des murets et en sort
tranquillement. La photo qui immortalise ce moment est un classique désormais. Il est
debout, les bras levés, casqué, ganté, suspendu en l'air, à côté de sa
machine de course. Deuxième titre de champion du monde pour le pilote automobile
français qui obtient ici sa 25ème victoire en grand-Prix. Les larmes de joie qui coulent
sur mes joues sont une délivrance. Je bois ces images distillées par Tf1. (sans pub ni
tiercé, étonnant non?). Bravo Alain. |
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Les mots du
vainqueur:
Au micro de Bernard Giroux, Alain Prost commente sa course: "(...)Ne jamais se
décourager, essayer d'aller jusqu'au bout. De toute façon, quand la chance doit être
là, ou la réussite, on appelle ça comme on veut, elle est là. Aujourd'hui, j'avais
simplement une voiture absolument super, j'avais simplement un problème d'essence. Mon
ordinateur me montrait que j'avais 5 ou 6 litres normalement en moins. Donc, je ne pouvais
pas espérer finir la course. Je me suis dit un moment: ou je gagne, ou j'arrête pour
l'essence. De toute façon, j'étais décidé à tenter le tout pour le tout. C'est ce que
j'ai fait. J'ai terminé avec "normalement" 5 litres en moins! (...)"
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